3 ans et demi plus tard, il m’arrive encore de penser aux premiers temps marquants de mon retour en France à Versailles après quelques 7 mois de vadrouille pendant lesquels j’ai vécu un vrai choc culturel inversé. Il y a de cela quelques temps, lors d’un apéro dinatoire, Seb des globeblogueurs lançant le sujet du fameux choc culturel m’a confié avoir écrit son billet posthume près de 10 ans plus tard. Sans le savoir, il m’a incité à le faire aussi de mon côté.
Retour dans les faits sur ce décalage entre une nouvelle vie de voyageur sur la route qui s’était imprimée dans le cerveau et cette ancienne qui m’est revenu en pleine face, parsemé de vagues souvenirs.
Veuillez donc bien considérer cet article comme un préquel au billet sur l’autopsie du voyageur
Atterrir à 6h du mat’ après 30h de vol grâce à un changement de dernière minute au comptoir et un baratin sorti du ciel.
Se sentir puissant après 7 mois d’expériences positives.
Mais bordel, ça parle français partout ici. Là, celui là, je lui parle en quelle langue ?
Revoir le ciel gris et pollué de Paris, qui ne m’avait pas manqué. Où est la lumière pure ?
Redécrypter correctement le langage para-verbal pour reposer le cerveau lors des tentatives de communication.
Redécouvrir les joies des bouchons sur l’A1, puis dans Paris intramuros.
Se croire en été en portant un tee-shirt au mois de Mars, ne pas avoir froid tandis que les parisiens sont frigorifiés.
Voir ces mêmes parisiens me dévisager comme si un intrus débarquait dans leur monde. Une légère montée de paranoïa même. Cela t’étonne tant que ça un mec en veste jaune avec un pantalon noir troué au cul ?
Traverser une rue. Je sais même plus dans quel sens je dois tourner la tête.. Je suis perdu. A droite ou à gauche en premier ?
Se forcer à tourner de nouveau la tête à gauche alors que le réflexe a été pendant des mois de regarder à droite. C’est dur. Pourtant ce même réflexe était inné avant.
Venir sur le lieu de travail d’une amie. La spontanéité marche encore chez certains. Récupérer les clés de son appartement. Elle n’était pas au courant de mon retour.
Hum ça sent bon cette odeur. Mais c’est l’odeur du pain frais. S’y précipiter. Acheter des viennoiseries et du pain frais. Se régaler.
Aller dans un supermarché de proximité. Être perdu. Putain, je comprends rien à leur organisation. Où est ce putain de chocolat ?
Découvrir horrifié la minceur des tablettes de chocolat. Passer en one-shot des tablettes de 220g à 100g. Mais c’est quoi leur truc ? J’vais l’bouffer vite fait
Être décrit comme perdu par l’amie à midi lors de sa pause déjeuner. Lui répondre Non alors qu’elle a raison. Abasourdi par la rapidité de tout ce qu’il se passe.
Traverser tout Paris dans un métro étouffant et étourdissant pour récupérer un sac de fringues laissé avant de partir. En avoir besoin ce soir pour le compte d’une soirée avec la #TeamGivrés.
Être fatigué lors de cette soirée et ne rien percuter malgré l’aura dégagé d’un voyageur sur le retour. Découvrir ses copains givrés rivés à leurs smartphones toute la soirée. Ne pas comprendre. Profite du moment au lieu de ton téléphone. Se sentir déphasé.
Rentrer chez l’amie. Ne pas avoir dormi depuis près de 48 heures et s’écrouler de fatigue après avoir tant tenu.
Se réveiller à 6h du matin avec le jetlag dans la tronche. Se jeter sur son smartphone avec le désespoir de louper avec 12h de décalage les nouvelles de la France par mail, twitter, facebook comme d’habitude. Mais mais je suis en France !
Être en panique devant le lot d’affaires récupéré la veille. Ne pas savoir comment ranger. L’habitude de ne devoir gérer qu’un sac de 50L depuis des mois est bien ancré. Jeter mes chaussures de trail usées à la semelle et trouées. Elles pouvaient encore servir.
Aller dans un hypermarché avec une pote. Voir la course effrénée des caddys, hésiter devant le choix de pâtes possible d’un rayon entier et haïr la musique lancinante. Haïr la foule, vouloir fuir.
Ne pas savoir quoi faire. Laisser le feeling décider. Laisser ma famille en suspens. Tout est au conditionnel. Comme sur la route. Bon il y a des chances que je vienne sur Nantes mais il est possible que je change d’avis.
Attendre le dernier moment pour l’achat du billet de train vers Nantes pour repousser le moment de l’engagement. Envoyer un texto libératoire à ma famille J’arrive dans deux heures.
Annuler un HelpX prévu dans les Vesterålen en Norvège la semaine d’après. Sur un coup de tête. La drogue du voyage ne fait plus effet. Ne plus en vouloir.
Revoir la famille. Avoir cette sensation que le temps s’est arrêté. Pour eux la routine. Pour moi la sensation d’un escalator auparavant à pleine vitesse qui s’arrête d’un coup, net. BANG. Je l’avais pressenti.
Revoir d’autres amis. L’un hoche de la tête alors que je sais bien qu’il ne saisit rien à ce que je raconte. Un autre me revoit comme si c’était la veille et me parle de ses problèmes de boulot. Putain, t’as que ça à me dire ????
Ne pas savoir quoi faire. Partagé entre l’envie d’être au vert et un retour dans mon ancien domaine d’activités. Passer des entretiens. Déphasage complet. Le premier entretien est digne d’un sketch, le RH reçoit un candidat beaucoup trop à l’arrache. Découvrir que j’ai tout oublié.
Stresser. Perdre confiance.
Voir l’émission Faut pas rêver consacrée à la Patagonie. Malgré la solitude de la pampa, un argentin explique qu’il n’y bougerait pour rien au monde. Mais c’était pareil en Nouvelle-Zélande. Il a raison. L’idée de vivre au vert est forte mais je me retrouve face à un mur, celui de ma propre culture.
Je ne veux pas troquer ma liberté contre ce qu’on me propose. Mais y aller quand même. Avoir l’impression de ne pas avoir le choix.
Passer d’autres entretiens. Être interloqué devant les questions ahurissantes de non sens. J’avais oublié à tel point on était cons. Ils sont drôles de me demander où je me vois dans cinq ans, j’arrive même plus à savoir ce qu’il va se passer la semaine prochaine.
Sentir le devoir de rentrer dans des cases. Se sentir à l’étroit dans le costume-cravate. Putain j’ai envie de me barrer, ce n’est plus moi tout ça.
Oh ça passera tout ça, c’est l’effet du retour, c’est pas si pire. Se sentir bipolaire.
Chercher l’air pur, la sauvagerie, vouloir revivre l’ermitage. Contempler le ciel dans l’espoir d’y voir des beaux couchers de soleil. Mais rien.
Signer un contrat de travail en CDI et un bail en colocation avec un ami. Faire une virée inutile de quelques jours en Islande, histoire de tester les sources d’eau chaudes. Déménager en un coup de vent express. Le tout en 15 jours. Trop d’engagements d’un coup.
Commencer le travail.
Vouloir tout arrêter mais être bloqué. Se sentir hors des boîtes mais en chercher une pour se réfugier. Quoi faire ?
…
C’était mon choc culturel inversé. #NoFilter
Le coup du t-shirt à Paris en mars, je confirme : j’ai vécu pareil en revenant de Nouvelle-Zélande à la même période. Désolé d’autre part de ne pas avoir pu ou su t’accueillir comme il le fallait ce soir là. Chouette billet en tout cas.
Meuh non tu/vous m’avez pas mal reçu, vous étiez juste dans votre quotidien et moi j’arrivais comme un chien dans un jeu de quilles. Mais c’est vrai que de te voir toi et nico à photographier dans tous les sens une simple soirée, je ne comprenais pas 😀 😀
… je me suis retrouvée comme un conne, seule et un peu éméchée après festivités d’accueil, à 5h30 d’un matin de décembre, avec ce sac que je me trainais depuis 9 mois devant un digicode que j’avais autrefois composé instinctivement et forcément totalement oublié, … beaucoup plus seule à cet instant là que pendant tout le temps cumulé de mon parcours. Une fois enfin rentrée dans cet ailleurs qui fut chez moi, j’ai déroulé mon sac de couchage sur la moquette … et j’ai dormi 36h d’affilée.
Très bel article.
beau témoignage toi aussi !
Ah ba moi j’ai eu le coup du « je prends mon vélo, je me lance dans la rue bien à gauche normal et je gueule – mais qu’est-ce qu’il fout lui! – sur les voitures qui arrivent en face »
je compatis, j’aurais fait pareil !
Ca fait plaisir de savoir qu’on est pas seul dans ce cas là.
Ce qui me marque le plus depuis que je suis rentré c’est ma timidité grandissante, je ne suis pas très timide de base, en Nouvelle-Zélande n’en parlons même pas… ne pas parler à un inconnu une fois l’heure était bizarre. Ce que j’ai fais les premières semaines de mon retour. Et puis, doucement, je pense à vouloir me ranger dans ce que je pense être la norme… J’ai en partie perdu en 1 mois mon « pouvoir magique » que j’adorais, de pouvoir discuter avec tout le monde en toute situation.
Merci pour ce bel article.