Alors que je suis en train de préparer mon prochain voyage en Norvège de 1 mois l’été prochain, il est enfin temps d’affronter l’épineuse question qui m’anime depuis mon retour du grand voyage de 7 mois:
Comment ressentir de nouveau l’excitation des premiers voyages ?
Il s’avère après calcul que j’ai passé près de 1 an cumulé en dehors de la France en 5 ans pour une quinzaine d’aller-retours, cela fait beaucoup de voyages. Alors je vais tâcher de les analyser en plusieurs sections afin de mieux distinguer comment réinventer le voyage.
Le syndrome du « switch » au retour de voyage
Ce que j’appelle le « switch », c’est ce moment de déphasage au retour d’un voyage. Au retour de mon premier voyage dépaysant, j’étais hébété face à l’étroitesse de mon petit appartement après tout ce que je venais de vivre et ai mis des jours à m’en remettre, naviguant entre le retour au travail et les souvenirs. Mais au fil des voyages, ce déphasage a progressivement disparu et cette facilité à switcher a atteint son apogée lors de mon retour de Russie:
24h de trajet depuis Irkoutsk, départ 7h heure locale, arrivée minuit chez moi et au boulot le lendemain 9h. Aucun problème.
Comme une drogue, j’essayais de repousser les limites de ce switch et c’est ce fameux « grand voyage » qui l’a atteint. Là effectivement, il n’y rien à faire, c’est toute une vie que je serai marqué par ces expériences vécues. Depuis pour des courts voyages, ce « switch » ne se manifeste plus, presque à mon grand regret.
Le voyage lointain se vit dorénavant comme un départ en week-end dans la campagne d’à-côté. Qu’en pensez, sincèrement ?
L’apprentissage de l’inconnu.
A la veille des premiers voyages, l’appréhension me guettait sur ce que j’allais découvrir, sur la confrontation de la réalité face à mes « fantasmes » et je me remémore encore le stress du saut dans l’inconnu dès la sortie de l’aéroport.
Cet inconnu, je l’ai tellement côtoyé qu’il a fini par perdre de son essence. Les différents voyages sur 4 continents m’ont permis de vivre moultes situations que maintenant, c’est simple: quoiqu’il arrive en voyage, je m’en branle, de toute façon je suis déjà mort (pour compléter, voir par ici).
Il y a même pas de problème ! Que des solutions.
Alors que paradoxalement, c’est un anxieux chronique avec des rechutes qui vous parle ! Et vous, l’inconnu, toujours là ou il s’est fait la belle ?
De la visite aux vagabondages et expériences
Au début, mes voyages consistaient à suivre quasi scrupuleusement le sacré-saint guide de voyage et l’improvisation n’avait que peu sa place. Puis au fil du temps et parce que je voulais aller plus loin, je me suis mis à « explorer ». Ne parlons pas de géographie, mais bel et bien d’une exploration personnelle du champ des possibles.
C’est ainsi que je me suis tourné vers l’auto-stop, le volontariat, le trekking, le cyclotourisme et l’hébergement chez l’habitant. Après avoir vécu de sacrées expériences, les possibilités sont maintenant infinies: trekking à cheval, expédition en ski-pulka, bateau-stop, volontariat en tout genre, rencontres de peuples autochtones et j’en passe.
Mais finalement, ces expériences, a t-on besoin d’aller à l’autre bout du monde pour les vivre ? N’apprend t-on pas autant culturellement, ne serait-ce qu’en visitant un petit village préservé du parc régional des Causses (Wikipedia pour en savoir plus), haut lieu du protestantisme par exemple ?
La banalisation du voyage
Nous sommes nombreux à clamer sans cesse que voyager est la chose la plus géniale à faire dans la vie comme en témoignent les nombreux articles de blog sur cet état de fait. Bien que je partageais cet avis, avec le temps il devient plus nuancé -ou tranché. Je constate souvent que voyager est un moyen de consommer: au lieu d’économiser pour une maison hors de prix, on économise pour un billet d’avion.
On part, on vole de longues heures durant pour ne plus prendre la mesure du déplacement temporel et à l’arrivée, on prend plein de photos.
On « partage » sur les réseaux sociaux pour indiquer à la terre entière que l’on a bien marqué le territoire de notre passage en prenant des poses à la mode.
On rentre, on switch, on retourne au boulot en se disant « vivement le prochain voyage ». Et c’est reparti pour un tour.
En somme, le voyage est tellement partout qu’il s’est banalisé et perd de son sel.
Je grossis exagérément le trait mais j’ose espérer que vous savez lire entre les lignes. A mes yeux, voyager doit rester exceptionnel, quelque chose d’unique et précieux. Le fait de prendre un avion, un moyen de déplacement extraordinaire ne peut pas rester banal, rien que par les bouleversements démographiques, environnementaux et économiques qu’il a crée et dont on ne mesurait pas les conséquences à l’époque.
Malgré que j’ai beau chercher à continuer mon exploration personnelle, l’intensité des expériences vécues devient en plus éphemère. Comme un drogué ne ressentant plus les effets. A vrai dire, ne pas voyager pendant quelques temps ferait peut-être du bien ! Alors me vient maintenant une question assez simple et obligeant à ne pas fuir sa propre vérité:
A force de voyager, n’arrive t-on pas à une saturation ?
Pourtant, j’aime toujours voyager et c’est mécaniquement que je cherche toujours des destinations. Néanmoins, des rêves auparavant puissants se sont dissipés: bye bye la Mongolie, l’Islande et autre Canada.
Un début de solution: relocaliser le voyage ?
Pourtant des solutions alternatives de ré-invention ou relocalisation du voyage existent. Prenons l’excellent projet de la Diagonale du Vide de Mat, à pied entre le Nord-Est et le Sud-Ouest de la France. Et devinez quoi ? Mat au travers de son projet, relocalise le voyage au plus près de là où nous évoluons et que finalement, nous sommes pas mal à reconnaître de mal connaître. Et je vous jure qu’à ma grande surprise (et la sienne), je dévore dès leur sortie ses articles parlant de rencontres impromptues et d’aventures. Cela veut bien dire quelque chose, non ?
Enfin, une punchline me reste toujours dans la tête de la part d’une hôte couchsurfeuse en Nouvelle-Calédonie. Belge, elle avait migré en Nouvelle-Calédonie par conviction personnelle et coup de cœur. Elle résume:
Cela fait 5 ans que je vis ici et je n’ai plus besoin de bouger. Le WE, on prend la tente vers une plage et ça me suffit, mon bonheur est là.
Plus besoin d’aller à l’autre bout de la Terre, l’fun existe aussi 3 pâtés de maisons plus loin !
Alors, quoi faire ?
La plupart des gens, pour une infinitude de raisons continueront à fonctionner de la même façon, sans changer grand chose au cours de leur existence, tout simplement parce que cela leur convient. A chacun, quand il en éprouve le besoin de réinventer son voyage.
Parce que j’ai ce besoin permanent d’exploration personnelle, réinventer le voyage m’est nécessaire. Moi, homme des terres plates et océaniques, j’ai rêvé durant toute mon enfance de vivre près des montagnes et y suis enfin arrivé. Un voyage local en somme. Non seulement, ma nouvelle vie en Savoie me fait découvrir des nouvelles choses tous les jours, mais je m’attache aussi à lui donner des orientations nouvelles. Cela dit, je ne suis pas à une contradiction près, rien ne me prédestinait à aller au Lesotho !
Au final, je ne crois pas que je retrouverais cette excitation des premiers voyages, alors est-ce la maturité, l’expérience ou l’âge ?
Ou tout simplement, parce que le voyage est un tout, qu’il n’est pas seulement géographique, mais aussi intérieur ?
Notre propre vie est un voyage à elle-même !
« parce que le voyage est un tout, qu’il n’est pas seulement géographique, mais aussi intérieur »… Un grand oui ! Chaque voyage nous change, on évolue, la fois suivante les attentes ne sont plus les mêmes, les ressentis non plus. C’est lié au cheminement de nos propres vies, à la maturité, l’expérience et l’âge comme tu l’as dit ; à force de répéter une expérience évidement l’émotion de la nouveauté disparait, mais d’autres arrivent qui peuvent être tout aussi intéressantes, voire plus ! Différentes en tout cas, inévitablement. L’important est de savoir s’écouter pour se diriger vers de nouveaux horizons, qu’ils soient géographiques ou non 🙂
Merci Gwen de rajouter cette notion de l’écoute pour orienter son propre voyage 🙂
C’est joli !
Je ne voyage pas assez (malheureusement ?) pour reconnaître cette sensation de saturation. Mais c’est aussi parce que je fais partie de ces gens qui sont bien « chez eux » et je ressens rarement le coup de blues du retour après un voyage au long cours !
J’ai donc encore cette dépendance, celle de DEVOIR bouger pour découvrir quelque chose de nouveau. Ça me revient tous les 3 mois… Mais ce besoin est généralement comblé par la simple découverte d’un endroit près de chez moi, ou la redécouverte des lieux où j’ai grandi.
Ouf, je ne suis pas trop consumériste 😉
C’est marrant ce que tu dis sur les destinations qui nous démangent (au point où c’est l’obsession) puis se dissipent ! J’ai eu la même pour la Croatie… Puis je suis passée à autre chose.
En tout cas merci pour cet article joliment construit 🙂
En fait, en ce qui concerne mon cas, c’est ce grand voyage hors de mes bases qui a été le facteur déclenchant. Tellement de choses vécues et bien ancrée dans les souvenirs, au retour j’ai eu ce sentiment que je pouvais passer à autre chose, sans regret. Un peu comme un sportif qui a atteint le but ultime et dont maintenant il doit en trouver un autre 🙂
J’ai toujours ce besoin de découvrir, tout comme toi, mais comme l’indique Gwen, qui connaît aussi les longs voyages, la répétition atténue l’effet de surprise et d’intensité. Et c’est bien que tu soulignes le fait que d’aller pas bien loin te suffit pour être bien (cf le commentaire de la couchsurfeuse), il faut trouver l’endroit où habiter et être bien. enfin plus dur à faire que de le dire. C’est ça la principale différence avec avant quand j’étais sur Paris: je partais très souvent.
Merci de ton passage de qualité.
Je suis toujours étonnée de lire des articles sur les « déceptions » en voyage car moi, j’ai l’impression de n’en avoir jamais… bien sûr il y a des galères, il y a des lieux qui sont pas comme je les attends mais je ne peux pas appeler ça une déception parce que je m’attelle à faire en sorte que tous nos voyages « restent exceptionnels, quelque chose d’unique et précieux » … je ne veux pas que voyager devienne une banalité comme une autre : parce que même si le voyage s’est démocratisé, je considère que nous sommes des privilégiés, que c’est une chance inestimable et qu’il ne faut jamais l’oublier. Et comme toi, je pense également que découvrir son territoire est tout aussi enrichissant que d’aller explorer la jungle amazonienne (et beaucoup moins risqué 🙂 ) et rien ne nous fait plus plaisir que d’aller encore et encore dans le Lot ou en Dordogne ( à 1h30 de chez nous!).
Pour l’anecdote, cet été nous avons un mois de vacances et nous avons décidé de partir en voiture jusqu’en Slovénie ou ailleurs en fonction de nos envies… tu ne peux pas imaginer le nombre de gens qui ne comprennent pas qu’on ne veille pas prendre un billet pour l’Asie ou autre… comme si le voyage était obligatoirement synonyme de 10h d’avion ….
bon j’ai été très longue donc je te laisse maintenant 🙂
Merci Emmanuel !
J’avais l’impression d’être la seule à vouloir calmer le voyage dans la blogosphère et voilà que je lis ton article.
Cela fait longtemps que je le pense. Je n’ai plus peur de le dire maintenant. Malgré ses nombreuses vertus, à trop voyager, on passe aussi à côté de l’essentiel.
Tu vas voir, 2cents que dans les prochains mois, des articles du type « Voyager moins mais mieux » vont fleurir le web. #ohwait 😀
Je lis ton article et je tombe sur la mention de la diagonale du vide !! Yeaaaaah 😀 Ca fait plaisir l’ami !!!
Comme je suis en confiance, je me permets d’apporter ma pierre au débat… Pour moi, il y a deux types de voyages – et c’est une question qui a déjà fait couler beaucoup d’encre : je veux parler de la différence entre tourisme et voyage.
Le voyage touristique, c’est celui où l’on consomme la destination en courant les attractions, les choses à voir, les choses à faire, les endroits immanquables. Où l’on a repéré déjà tout ce qu’on veut voir. Pour moi, ce voyage là est un voyage d’agrément, de divertissement. Je n’a rien contre, mais je m’en lasserais et m’en passerais facilement.
Par contre, le voyage d’aventure, celui où l’on expérimente des situations inattendues et non préparées, où l’on apprend sur soi, où il y a des rebondissements, des rencontres aussi belles qu’improbables, celui qui te fait grandir, dont tu reviens différents, avec d’autres yeux et d’autres manières de penser, celui là, mon coco, je suis pas prêt de le laisser tomber. Qu’il se trouve à deux pas ou à dix mille bornes de chez moi !